ET LA NUIT QUI EST À TOMBER
Bastien Mignot

Texte écrit suite à un séjour de dix jour seul dans l'Atelier refuge du Sentier des Lauzes à St Mélany en Ardéche. Premier temps d'exploration des Études de Nuit.



Il [Vent] était Obscurité. C’est pourquoi quand Obscurité s’installe sur vous à la nuit, une brise merveilleuse se lève.

Fragment d’un chant Diné (Navajo) cité par James Kale McNeley dans Holy Wind in Navajo Philosophy cité à son tour par David Abram dans The Spell of the Sensuous

S’il n’y a pas de résistance à un changement, c’est qu’il n’y a pas de vrai changement.
Starhawk









Il est des voyages comme des basculements. Il est des équilibres comme des plongées.

Au mois de mai 2017, j’ai fait un séjour à l’atelier-refuge pour écrire.
Pour écrire dans les prémices d’une future pièce pour des théâtres.
Pour écrire dans le motif noir, dans l’obscur, l’ombre, la nuit.
Alors je voulais faire l’expérience de cette écriture plongée dans de la nuit.
Je voulais venir au refuge pour y « respirer la nuit ».
Quel meilleur endroit qu’un refuge pour s’extraire à la vie sociale citadine, pour trouver une vie de campagne le jour et pour la nuit plonger, plonger dans la nuit toute proche.Si proche qu’elle nous enveloppe à peine la porte vitrée passée, à peine le pied posé sur la terrasse de bois qu’elle est là, partout, palpable. Je voulais écrire avec ça.

J’imaginais aussi que de ces « études de nuit » puisse apparaitre autre chose, d’autres formes. Je voulais venir creuser le temps à l’intérieur du temps. Venir incorporer des morceaux de paysage pour ensuite les emmener avec moi sur les plateaux des théâtres. Confronter les pratiques inventées pour agir la pièce future avec les arbres, le vent, les distances de la vallée.

Tout ce qui était prévu s’est passé et rien de ce qui était prévu ne s’est passé.

L’Atelier Refuge est un amplificateur.
Plonger dans sa propre nuit, seul, sans drogue, sans garde-fou c’est en oublier tous les objectifs, car il y a plus profond encore ici à L’Atelier Refuge

Et la nuit qui est à tomber
Qui ne tombe pas tout à fait
Qui reste suspendue
Alerte
Artificielle
Nuit américaine
Nuit de pleine lune
Nuit lactée


Comment dire cette nuit de pleine lune qui n’est pas la nuit ? Qui n’est pas le jour non plus. Qui est comme le jour dans la nuit ou la nuit dans le jour. Où les oiseaux continuent de chanter à tue-tête. Une drôle de nuit. Une « obscure clarté ». Les chouettes sont quand même de sortie.



Au bord de l’eau.
Après avoir dévalé la rivière de roches en roches comme un cabri.
Je suis au milieu de la rivière.
D’où qu’on prenne la rivière, on est au milieu d’elle comme de la vie, entre naitre et mourir, en équilibre au milieu. Comme dit le Zen qui dit qu’il est la voie du milieu. Solitude reliée. C’est nouveau. C’est une nouvelle pratique. Je sens que ce séjour ici est existentiel, mystique, thérapeutique peut-être. Je tente de rassembler tout cela dans un geste. Peut-être la forme d’un poème ou d’une danse ce soir dans la nuit d’artifice qu’est la nuit éclairée de pleine lune. Me revient un tirage de tarot et l’arcane du Pape. Faire le lien, être le véhicule du lien. Respirer au bord de l’eau.



Hier soir j’ai enfin entendu la chouette
Je l’ai appelé timidement




C’est après la pluie. C’est la nuit. Le ciel est couvert mais c’est la pleine lune alors on voit très bien, très clair. On voit légèrement flou, on voit plus des masses qu’on ne distingue des détails. Il y a comme des variations de gris et d’humidité et la brume blanche entre les deux collines au fond de la vallée on la voit très distinctement. Il y a le bruit du torrent au loin. Quelques insectes nocturnes. Le chant des oiseaux qui ne se taisent plus. C’est un monde parallèle, apaisé, calme et tellurique.

Samedi soir j’ai fait une première pratique de nuit, vers 22h30 sur la terrasse du bas. Je me suis assis et j’ai contemplé la nuit, le vide après la terrasse, la ligne de crête des collines en face qui se détachait sur le ciel plus clair. La lune ne se levait pas, c’était une nuit claire mais c’était aussi clairement la nuit. Il y avait de la reliance, c’était une solitude connectée à toutes les masses sombres de l’espace, à toutes les étoiles du ciel qui étaient là, toutes proches, brillantes de leur distance. À la terre, à moi-même : filtre, vecteur, vaisseau.







Pratiquer la contemplation de la nuit
Pratiquer le regard qui raye l’invisible


Transes de l’obscur




VESPER

La planète Vénus lorsqu’elle paraît le soir

L’étoile du soir

Le passeur de nuit

La passante de nuit

Passer la nuit

Traverser

Chaque nuit passe

Obscur ≠ nuit

Le soleil sous la peau | le soleil s’est glissé sous la peau

Le vert qui tombe dans le vert qui tombe dans le vert

Le vent m’arrache à la vie des roches

Le geai, la mésange, le pic épeiche, la chouette, de jour en jour plus proche

L’eau de la lumière de nos nuits

L’arbre-ombre à la poursuite du vide

Je suis devenu cette forêt que je regarde

Les racines du chêne me libèrent le cœur

La tête se renverse

Contamination des cris

Agissements secrets

Sous la frondaison les pistes se cachent

L’angle du genou répond à la fatigue de l’oiseau

Ici tout est affaire de tissage et tout est affaire de masses, c’est selon l’heure à laquelle on arrive

Découvrir la nuit comme une peau 


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